Titre

Des migrant∙e∙s et des revenant∙e∙s. Une histoire des réfugié∙e∙s hongrois∙es en Suisse (1956-1963) / Migrants and Revenants. A History of Hungarian Refugees in Switzerland (1956-1963)

Auteur Tiphaine ROBERT
Directeur /trice Prof. Alain Clavien
Co-directeur(s) /trice(s)
Résumé de la thèse

La thèse retrace l’histoire des réfugiées et des réfugiés hongrois de 1956 en Suisse. Elle prend en compte non seulement leur immigration – c’est-à-dire leur séjour en Suisse – mais aussi, en amont, leur émigration dans le sillage de l’Insurrection de 1956 et, en aval, le retour d’une partie d’entre eux vers la Hongrie communiste de János Kádár. Cette démarche englobante vise à réinterroger l’histoire du refuge de ces personnes qui ont, en très peu de temps, décidé de traverser le Rideau de fer… quitte à le retraverser ensuite.

En suivant le parcours des personnes, il explore leur vécu et interroge de manière nouvelle le destin plus global des réfugiées et des réfugiés de la Guerre froide à travers leur histoire. Il examine des migrations rarement étudiées dans l’historiographie: des migrations vers une dictature, un flux Ouest-Est pendant la Guerre froide.

L’objectif était principalement d’éclairer un phénomène jusque-là ignoré par la recherche : le rapatriement volontaire d’une partie des réfugiés hongrois de 1956. Arrivés dans le « paradis » que pouvait représenter le « Monde libre » des années 1950, pourquoi une partie des réfugiées et des réfugiées rentre-t-elle vers l’ « enfer » communiste ?

 

La première partie de la thèse correspond au contexte de cet exode. Quels sont les éléments qui poussent ces personnes à quitter la Hongrie et comment accèdent-elles à la frontière ? La deuxième partie revisite le chemin des réfugiées et des réfugiés une fois de l’autre côté du Rideau de fer. Comment sont-ils accueillis en Autriche et en Yougoslavie et comment rejoignent-ils la Suisse ? La mobilisation exceptionnelle aussi bien de la société que de la Suisse officielle en leur faveur est également abordée, de même que le vécu des personnes réfugiées en terres helvétiques sur la base d’une vingtaine de témoignages d’anciennes et d’anciens réfugiés. La troisième partie est consacrée au rapatriement d’une partie de ces transfuges.

Pourquoi, peu de temps après leur arrivée dans le « Monde libre » prometteur d’une vie meilleure, beaucoup de réfugié·e·s ont hésité ou se sont décidés à revenir dans leur pays alors même que le régime qu’ils et elles ont fui est encore en place ? Comment les autorités aussi bien suisses que hongroises gèrent ces velléités de retour ? Pourquoi et comment les encourage-t-on ou les empêche-t-on ? Quelles contraintes et risques comportent les rapatriements ? Enfin, comment l’histoire des réfugié·e·s est-elle instrumentalisée des deux côtés du Rideau de fer ?

 

La recherche se base sur des témoignages et sur un vaste corpus de sources documentant l’exode : archives nationales suisses et hongroises, archives de la sécurité d’État hongroise, d’organisations internationales, d’œuvres d’entraide et d’autorités locales. Un traitement quantitatif de fiches personnelles des réfugiées et réfugiés complète l’analyse.

 

Notre recherche à partir du cas suisse révèle les dynamiques individuelles et familiales, sociales et culturelles à l’origine de ces rapatriements. Elle rend compte de la complexité à la fois des motifs de migration et ceux du retour.

L’analyse des sources documentant ces rapatriements permet de conclure que les raisons de retour sont bien souvent plus sociales que politiques : difficultés et stagnation dans le pays d’accueil, mal du pays, mais aussi drames familiaux et conjugaux peuvent mener à ce choix. Les sources révèlent aussi la marge de manœuvre de personnes soudain prises dans les bouleversements politiques et les enjeux idéologiques . Notre recherche avait comme objectif principal de comprendre les raisons des rapatriements. Comme au moment de l’émigration, les facteurs de décision peuvent s’additionner.

Ces rapatriements "à contre sens" font l'objet de discours. Chaque camp l’interprète à sa manière. En Occident, on parle peu de ces rapatriements. Ils représentent autant de (petites) défaites idéologiques et sont aussi présentés comme un échec d’intégration. Un échec dont les immigrantes et les immigrants sont jugés responsables car incapables de faire les sacrifices nécessaires à leur intégration : ils se seraient fait des illusions sur l’ « Ouest doré » qui, selon ce discours, « se mérite à la sueur de son front ». Le camp communiste au contraire, n’a de cesse de mettre en valeur le parcours de ces dissidentes et dissidents repentis. Ils sont des preuves vivantes que le monde capitaliste n’est pas si rose que la propagande occidentale le dépeint. Instrumentalisé, les récits des rapatriées et des rapatriés révèlent deux modes de vie en compétition. Une fois rentrés, les personnes adaptent leur discours à ce qu’attendent les fonctionnaires du régime communiste hongrois. Peut-être parce qu’ils ont effectivement expérimenté une forme de déception sur le territoire helvétique, mais aussi parce qu’en racontant la déception qu’ils auraient connue dans le « Monde libre » à la police hongroise, ils s’efforcent d’améliorer leur situation personnelle face au régime.

En bref, le rapatriement post-1956 s’apparente généralement à un acte politisé plutôt que politique. Quoique participant d’un mouvement collectif, il s’inscrit dans un cadre individualisé tributaire d’objectifs personnels. L’opposition de valeurs affichées par les deux systèmes politiques domine les interprétations et obnubile les contemporains. Mais en définitive, le contexte politique de la Guerre froide nous apparait comme un décor masquant en partie les aspects familiaux et sociaux, ainsi que la complexité des situations. Que ce soit lors d’une émigration ou d’un retour, on espère quitter une situation insatisfaisante et un lieu donné. Il peut d’agir de fuir une guerre, des persécutions, une dictature, une vie familiale insatisfaisante, un travail décevant, un avenir bouché, un quotidien morne… Ce lieu peut être la Hongrie communiste et même l’Europe des Trente glorieuses.

Statut terminé
Délai administratif de soutenance de thèse 2019
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